À la recherche du mystérieux Bois de Oud, Thaïlande

Plantation de bois de oud

En avril dernier je m’envolais vers la Thaïlande. Une nouvelle destination pour ce carnet de voyage olfactif mais surtout l’occasion de vous faire découvrir un pays fascinant auquel il est difficile de résister. Au delà d’une richesse culturelle grandiose et d’une gastronomie à se pâmer, le grand attrait de la Thaïlande reste sans conteste la gentillesse de ses habitants. Un pays splendide où les odeurs sont encore une fois omniprésentes et ont ponctué mon voyage au fil des découvertes et des environnements.

Mais ce voyage était aussi l’occasion de réaliser une découverte qui me tenait à cœur depuis longtemps, rencontrer une des matières les plus nobles et mystérieuses qui révolutionnent la parfumerie actuelle : le Bois de Oud. Indéniablement associé au Moyen-Orient on oublie pourtant que c’est au cœur de l’Asie, entre les frontières du Cambodge, du Laos et de la Thaïlande que se trouve ce bois rare et précieux.

L’oud est issu de l’Aquilaria, un arbre de la famille des Thymelaeceae, qui pousse à l’état naturel sur une grande partie du continent asiatique. Lorsqu’il est infecté par une variété de champignons, l’arbre produit pour se protéger une résine parfumée aux effluves très subtils. Un long processus naturel qui rend le bois de oud si singulier.

Aujourd’hui communément appelé par son nom arabe ‘al-oud’ signifiant ‘bois’, le bois Aquilaria ne manque pas d’appellations pour le désigner. Dans l’Antiquité il porte le nom de bois d’aloes et de bois d’aigle. Utilisé lors de la cérémonie du kôdô au Japon il se dénomme jinko et kyara, tandis qu’en Chine, le chen-xiāng est apprécié pour ses vertus médicinales, enfin les indiens et les malais le connaissent sous le nom de bois d’agar.

Très apprécié et entouré de mysticisme, l’utilisation du bois de oud apparaît depuis fort longtemps au fil de l’Histoire. Hérodote raconte que les égyptiens l’utilisaient pour l’embaumement. Dans le Cantique des Cantiques il est l’arbre originel du jardin d’Eden. On dit même que le bois d’aloes serait l’encens offert en présent à l’enfant Jésus par les Rois Mages. Bouddha le désigna comme l’odeur du Nirvana mais aussi comme l’un des trois encens intégraux avec le santal et le clou de girofle. Dans le Coran, le prophète Mahomet situa sa fumée odorante au centre du paradis, et c’est aussi le parfum favori de Krishna, divinité indienne. Ainsi ‘toutes les religions l’ont adoptées comme un signe olfactif de la manifestation divine’ lui prêtant le pouvoir de purifier le corps et l’esprit.

Le commerce de l’oud existe depuis des milliers d’années. C’est principalement au Moyen-Orient, au Japon et en Chine que l’utilisation du bois de oud est la plus répandue, où il est reconnu comme l’un des encens les plus estimés. Sa fumée fortement parfumée aux senteurs cuirées, boisées et épicées permet de parfumer les vêtements et d’embaumer les maisons. Mais c‘est sous forme huileuse (le Mukhalat) qu’on l’utilise de manière courante dans le monde arabe pour se parfumer à même la peau notamment durant le pèlerinage à La Mecque. Pour toute la parfumerie du Moyen-Orient c’est une matière première essentielle, peut-être la plus précieuse, développant un arôme envoûtant incroyablement raffiné à la fois animal, brut et sophistiqué.

Cet arbre dont sont extraits les encens et huiles essentielles les plus rares au monde est depuis peu devenu très prisé en parfumerie en raison de ses qualités aromatiques. Son prix en fait l’une des essences les plus onéreuses au monde. Le mythe entourant l’oud négocié en moyenne à 20 000 € le kilo n’est pas loin de la réalité, et ses essences les plus précieuses dépasseraient le prix de l’or.

Mais l’arbre dont il est issu est en péril. ‘Les récits de ceux qui sont partis à la recherche de l’oud, en Inde ou au Cambodge, où poussent les Aquilarias, évoquent une véritable quête du Graal’. Il y a encore quelques années le bois de oud était très difficile d’accès, trouver un Aquilaria en forêt nécessite parfois plusieurs jours de marche; mais surtout une majorité des plantations ‘sauvages’ ont été pillées appartenant à des organisations de braconniers, trafiquants et autres mafieux sur des terrains interdits. De sordides histoires ont sali l’oud d’un bien triste passé et la contrebande menace chaque jour un peu plus son extinction. Pas moins de huit variétés d’Aquilaria figurent déjà parmi les espèces en voie de disparition dans la liste de l’IUCN (Union internationale pour la conservation de la nature). Mais fort heureusement des solutions sont mises en place pour le préserver et continuer à profiter durablement de ce trésor olfactif. L’Aquilaria est aujourd’hui protégé par La Convention internationale sur le commerce des espèces sauvages menacées d’extinction (CITES) promulguée par l’ONU qui en interdit le commerce et la détention à l’état sauvage.

De plus, ces dix dernières années des investisseurs se sont lancés dans l’exploitation de plantations respectueuses et il est désormais possible d’obtenir de l’oud en toute légalité, tout en respectant l’environnement et des valeurs éthiques.
C’est Asia Forestry, l’un des principaux fournisseurs d’huile de bois de oud pour la parfumerie, qui accepte de m’ouvrir les portes de leurs plantations situées à Trat, dans l’est thaïlandais. Pas d’épopée donc, si ce n’est un long voyage de plus de 4 heures au départ de Bangkok mais avec la satisfaction à l’arrivée d’être véritablement privilégiée.

Je suis accompagnée par Les Weaver, un anglais tombé amoureux de la Thaïlande il y a plus de 7 ans. C’est avec une grande gentillesse que Les me fit partager son métier, ses anecdotes de voyage et sa passion pour l’oud, cette matière extraordinaire qui rythme désormais sa vie. Nous effectuons notre premier arrêt dans une des 59 plantations appartenant à Asia Forestry, soit une totalité de plus de 60,000 arbres. Créée en 2006, la société est très impliquée dans le développement durable; protéger les forêts et impliquer les communautés locales sont les deux priorités de sa politique d’entreprise.

Au bout d’un petit chemin de terre, la plantation ressemble à première vue à une banale peupleraie, et pourtant les voici les rares Aquilarias : de grands arbres majestueux au sombre tronc étroit et aux branches élancées. C’est à l’âge de 10 ans que les arbres commencent à être contaminés, car rappelons-le sans moisissure le bois ne sent rien. Environ 60% des arbres sont infectés de manière naturelle, pour les 40% restant l’intervention de l’homme est nécessaire. Les troncs sont perforés tous les 20cm environ avec une chignole puis inoculés afin de déclencher le développement des champignons. Il en résulte une forme torturée qui donne à ce grand arbre une esthétique unique!

Il faut approximativement six mois pour que l’infection soit totale; l’arbre peut être réinfecté afin d’augmenter le rendement en huile essentielle. Pour contrôler l’avancement de la maladie on égratigne les écorces avec une machette en se référant aux traces noires développées. Une fois l’écorce interne noircie, signe d’un bon développement de la moisissure, l’arbre sera abattu puis traité pour en obtenir la précieuse huile.

Plus tard dans la journée nous visiterons une seconde plantation à plusieurs kilomètres de là. Il s’agit cette fois d’une ‘nurserie’ les arbres ayant été plantés il y a à peine deux ans. En attendant alors qu’il pleut des cordes, nous nous dirigeons vers la distillerie où nous y rencontrons Suwat, thaïlandais jovial au visage rond habillé de petites lunettes, il est le directeur de l’usine de distillation. Deux bâtiments modernes nous font face, à leurs sommets de longues et étroites cheminées soufflent une fumée blanche signe d’une production en cours.

Il nous explique qu’une fois coupés, les troncs des arbres sont réduits grossièrement, puis en copeaux pour enfin être rapés. Cette poudre de bois sera mélangée à de l’eau de source pour une phase de trempage qui durera une quinzaine de jours. C’est ce mélange qui est ensuite transféré dans les cuves de distillation. Les parties du bois non utilisables pour la distillation sont elles utilisées comme encens ou bois de chauffage des alambics.

En intégrant la salle de distillation, je suis justement saisie par une odeur de feu de bois et une chaleur étouffante. Le processus de distillation est lent et peut durer jusqu’à plusieurs jours pour extraire le maximum d’huile odorante. Dans les petits tubes de verres, l’huile sombre augmente doucement, goutte après goutte. Un rendement faible sachant qu’un arbre fournit en moyenne 30 à 35 ml d’essence. Avec l’utilisation de 59 alambics, Asia Forestry produit actuellement 54 à 60kg d’huile essentielle d’oud par an. L’usine vient d’agrandir ses locaux avec la construction d’un nouvel hangar impressionnant contenant une centaine d’alambics flambant neufs. Une toute nouvelle installation qui permet d’intensifier de manière considérable la production annuelle et ainsi répondre à une demande qui ne cesse d’augmenter.

Il existe différentes qualités d’essences de oud mais toute la singularité et la délicatesse de cette matière réside dans le fait qu’aucun oud ne ressemble à un autre; chaque arbre développe sa maladie propre, chaque lot de bois a son odeur spécifique. ‘La production de cette matière naturelle reste un hasard de la nature’. C’est pourquoi l’appellation de bois de oud est subjective, toutefois la qualité des essences de oud peut être identifiable selon leur âge et leur origine.

En parfumerie, la senteur du bois de oud s’apparente à la famille olfactive des boisés et des orientaux. Son odeur se décrit comme résineuse et fumée s’associant à des notes boisées, animales et épicées, pouvant se rapprocher du santal, du cuir et du patchouli. Après le santal, le vétiver ou le cèdre jadis, l’oud est devenu aujourd’hui la nouvelle note boisée prisée des parfumeurs et l’on ne compte plus le nombre de créations, mettant en exergue ce bois précieux, désormais disponible sur le marché. «Tout le monde le cherche mais personne ne le connaît réellement. Beaucoup l’ont déjà senti, mais personne ne sait vraiment distinguer le vrai du faux», raconte le parfumeur Alberto Morillas (Firmenich).

Alors me voilà chanceuse avec une goutte d’huile pure déposée au creux du poignet qui m’accompagnera pendant le voyage de retour. Un privilège qui me permit de mettre en mémoire une odeur si riche et complexe à la beauté sombre que je ne suis pas prête d’oublier. Une senteur orientale que j’associerai aux rencontres et aux découvertes faites ce jour là dans une petite province éloignée de l’est thaïlandais.

Pour en savoir plus: En Septembre 2011, TF1 diffusait dans son émission Sept à Huit un reportage mettant à la une le Bois de Oud; l’occasion de suivre le parfumeur Bertrand Duchaufour visitant la plantation et la distillerie d’Asian Forestry en Thaïlande. Cliquez sur le lien ci-contre pour visionner le reportage « Le parfum le plus cher du monde« .

CARNET D’ADRESSES

Plantation & distillerie de Bois de Oud: 

ASIAN FORESTRY DISTILLERY (‘AFD’)

120-121 Moo. 9 Tambon Wangkrajae, Amphur Mueng, Trat 23000 THAILAND

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Comments
9 Responses to “À la recherche du mystérieux Bois de Oud, Thaïlande”
  1. Merci pour toutes ces précisions sur ce bois et de nous faire revivre la visite de la plantation ;)

    • NezHerbes dit :

      Merci pour ce sympathique récit de voyage, j’y ai appris plusieurs détails que j’ignorais.

      Je connais une huile essentielle de Oud du Laos (Aquilaria crassna syn. A. agallocha) que j’apprécie beaucoup malgré son odeur des plus animales me rappelant en particulier le bouc. Je dois avouer qu’à ce jour je n’ai pas encore consacré le temps nécessaire à la découverte de ses nombreuses variantes, il faut dire aussi l’investissement que ça représente n’incite pas à se disperser…

      La seule chose que je ne peux m’empêcher de regretter c’est que vous n’ayez pas choisi de vous essayer au difficile exercice que représente une tentative de description détaillée de votre perception personnelle de cette odeur.
      Si vous l’ajoutiez en commentaire (ou ailleurs) je serais comblé :)

      • Christa dit :

        Merci beaucoup pour votre commentaire.
        Il est vrai que je ne partage que rarement ma vision personnelle des odeurs rencontrées en voyage, je préfère offrir une description globale pour donner une perception courante de l’odeur qui puisse parler à chacun sans rentrer dans des termes ou des appréciations trop abstraites. Je vous réponds néanmoins avec plaisir.

        Pour cela, je me suis replongée dans mon carnet de notes de voyage (que j’emporte partout avec moi) afin de vous faire partager les perceptions ressenties le jour de ma visite. J’ai eu la chance de sentir 2 types d’huile chez Asia Forestry: Seyufi (5 ans d’âge) et Safii (2 ans d’âge), bien que toutes deux très animales, elles diffèrent très clairement.
        L’huile Safii, la plus jeune, présente une note boisée avec un aspect feuilles de tabac, l’huile devient ensuite résineuse presque conifère (tout en restant sur un grand corps animal). Quand la seconde huile Seyufi, beaucoup plus chaude est vraiment dans toute l’opulence du bois avec une note ronde, fumée et cuirée, qui sur le moment me rappela un peu le vin chaud. Cette dernière évoqua apparemment l’odeur de lait de yack au parfumeur (et globe-trotter) Bertrand Duchaufour! Une anecdote amusante partagée par le personnel d’Asia Forestry, qui montre comment chacun s’approprie une odeur selon ses références et son propre vécu.

        La description olfactive donnée ci-dessus n’engage bien évidemment que moi. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de ‘re-sentir’ récemment une huile pure de oud du Cambodge dans le cadre de mon travail, qui était très différente: n’en ressortaient que les notes boisées et animales avec moins de profondeur et de subtilité, je vous rejoins ici sur l’odeur de ‘bouc’. C’est dire toute la virtuosité de cette note, à chaque plantation son huile, à chaque arbre son odeur… le bois de oud est un produit si difficile à travailler et à s’approprier que c’est sans doute la raison pour laquelle il est devenu si fascinant!

  2. youness dit :

    Bonjour christa!!
    j’ai besoin de vous.
    pouvez-vous me contacter sur akness@live.fr
    en vous remerciant

  3. eric dit :

    merci votre recit ma donne envie d’ aller visiter ce coin de la Thailande que je ne connais pas et d’ approcher cette arbres et ses parfums.
    une question simplete pourait on planter cette arbre n’importe ou dans le sud est asiatique?

    • Christa dit :

      Bonjour Eric,
      Je ne suis pas suffisamment experte en botanique pour vous répondre avec certitude, néanmoins il y a des plantations d’aquilaria dans les pays limitrophes de la Thaïlande comme le Vietnam, le Laos et le Cambodge. On parle également du nord de la Malaisie mais cela reste a vérifier, et beaucoup plus au nord, la dernière plantation d’Hong Kong est actuellement en péril…

  4. antoine Lizambard dit :

    Je me permets un petit commentaires relatif à cet article très intéressant : allez jeter un oeil sur le site du maître incontesté de la distillation de bois de oud, http://www.ensaroud.com . Osez en acheter un flacon : vous n’irez plus jamais regarder ailleurs !!

    • Ali dit :

      Étant moi même chimiste de formation et puriste du Oud je peux vous dire que les huiles d’Ensar sont très très loin d’etre pures comme il le prétend . De plus ses prix sont exorbitants.Beaucoup de vrais connaisseurs lui reprochent d’être plus un expert en marketing qu’en Oud.Si vous avez un doute demandez lui un certificat de pureté il n’en a pas.Sans certificat aucune garantie …

      • Lizambard Antoine dit :

        salam aleikum Ali. Il est vrai qu’ensaroud semble être expert en marketing, et que ses prix sont assez importants. Néanmoins, je n’ai jamais acheté de produit au-delà de 250 dollars chez lui, et il en a sorti quelques uns à 165 dollars ces derniers mois, qui sont d’une très bonne qualité quand même. Le problème, c’est que pour le passionné de oud français, à qui parler ? Il existe un site, Oudyssée, tenu par un français, dont les prix sont intéressants et les produits de qualité. Amateur de cambodi, je lui ai acheté les deux qu’il avait de ce type (siam et kamara), et j’en suis vraiment très content. Malheureusement il n’en a déjà plus un…. Auriez vous d’autres pistes à me suggérer ? (agaraura?) N’hésitez pas à me contacter sur mon mail antoine.lizambard@gmail.com je serais très intéressé d’échanger avec un autre passionné de oud ! barakallahufik

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