La Cannelle de Ceylan, la précieuse épice du Sri Lanka Partie I

Bâtons de cannelle

En partance de la région montagneuse, nous prenons la route en direction du sud du Sri Lanka. Après seulement quelques kilomètres l’ambiance se veut différente, nous approchons de la mer… Les routes se sont aplanies, la végétation n’est plus qu’un quadrillage de bananiers et de cocotiers, les habitants se déplacent à vélo en flânant et les femmes lavent leur linge dans les eaux claires des rivières.

Le sud du Sri Lanka, nous dévoile un tout autre visage, ici tout n’est que lignes et surfaces rases, à l’image des innombrables étangs qui colorent la terre de leurs écailles ciel et argent. Pour la première fois, c’est au niveau de la mer, que nous allons découvrir l’épice qui fait la richesse et en partie la notoriété de Ceylan: la cannelle.

C’est principalement dans cette région du sud de l’île que se concentrent les fameuses plantations. Reconnue comme la meilleure qualité au monde, la cannelle de Ceylan provient du cannelier (Cinnamomum ceylanicum), petit arbre appartenant à la famille des lauriers. Ses feuilles persistantes sont ovales d’un vert brillant tandis que ses fleurs blanches forment de petites grappes. Mais c’est avant tout son écorce qui fait l’objet de tous les désirs, épaisse et irrégulière c’est elle qui détient le précieux arôme.

La cannelle telle que nous la connaissons provient de l’écorce interne du cannelier. On effeuille les rameaux, et une fois dépouillée de son épiderme, l’écorce est incisée et fendue sur la longueur pour en détacher une mince pellicule. Ces copeaux fragiles s’incurvent à la chaleur, s’enroulant sur eux-mêmes et forment de fins bâtonnets. Son odeur et sa saveur sont à la fois épicées, sucrées et légèrement piquantes.

La cannelle de Ceylan est souvent confondue avec la cannelle de Chine ou cassie (Cinnamomum cassia). Produite par un arbre de la même famille, on la trouve essentiellement en Chine. D’une écorce plus épaisse et rugueuse, elle se différencie par sa couleur rougeâtre et plus foncée. La cannelle cassie est constituée d’à peu près les mêmes composants aromatiques que la cannelle de Ceylan, son goût et son parfum se veulent néanmoins moins délicats, ce qui en fait un ingrédient beaucoup moins coûteux.

La cannelle de Ceylan et la cannelle cassie sont connues depuis des millénaires. De toutes les épices, la cannelle est la plus ancienne et l’une des plus répandues durant l’Antiquité. Elle figure dans les anciens écrits chinois, sanskrits et égyptiens, de même que dans la Bible où elle est mentionnée plusieurs fois sous le nom de kinamon. Les marchands donnèrent à cette écorce le nom de Cin-a-momum, car ces deux mots signifient «bois de la Chine qui sent bon». Les Chinois, qui en faisaient grand usage, cultivaient déjà une espèce de cannelier 2500 ans avant notre ère. Herodote, en 450 avant J.C, distinguait la «vraie» cannelle qui provenait du Sri Lanka, de la «fausse» qui provenait de Chine. Les anciens savaient donc différencier les deux sortes de cannelle alors même qu’elles transitaient toutes deux par le détroit de Bab el-Mandeb reliant la mer rouge au golfe d’Aden.

Dans l’Egypte ancienne, dès le 3ème siècle avant J.C, la cannelle entrait dans la composition des onguents pour l’embaumement des morts. Durant toute l’Antiquité, la cannelle a été utilisée comme parfums, remèdes, onguents et parfums à brûler… Avec les métaux précieux, les bijoux et les étoffes fines, la cannelle, considérée alors comme aussi précieuse que l’or, emprunta la route de la soie et des épices depuis l’Inde et la Chine jusqu’en Mésopotamie, puis vers Rome et les grandes villes de la Grèce antique. Plus tard, au Moyen-Age, les épices sont utilisées pour leurs vertus et leurs arômes par les cuisiniers et apothicaires qui les achetaient aux marchands arabes, puis aux vénitiens.

Au XVème siècle, les nations européennes se lancent à la conquête du monde aboutissant à la constitution de vastes empires coloniaux. Les Portugais sont ainsi les premiers à contourner l’Afrique et s’implantèrent au Sri Lanka qu’ils nommèrent alors Ceilão. Un siècle plus tard, ce fut au tour des hollandais de s’emparer de l’île de Ceylan, qui y développèrent la culture de canneliers jusqu’alors sauvages. Les jardins de canneliers se multiplièrent sur l’île. Enfin en 1796, le Sri Lanka devint province de l’Empire britannique, et l’on comptait alors pas moins de 15,000 hectares de cultures de cannelle principalement situées à l’ouest de l’île et sur sa ceinture côtière.

Il fallut véritablement attendre la colonisation portugaise puis hollandaise en Indonésie pour voir apparaître des plantations industrielles sur le reste de l’Asie. Le cannelier est aujourd’hui cultivé dans tous les pays bordant l’océan Indien de même que dans les Antilles, au Brésil et en Guyane.

Découvrir cette épice historiquement si précieuse lors de notre séjour au Sri Lanka fut donc l’une de mes motivations premières. La production de cannelle est aujourd’hui essentiellement industrielle, pour l’aborder de manière artisanale on nous recommanda une petite île productrice, sur les rives de la rivière Madu. Pour s’y rendre nous devons emprunter les bateaux d’un organisme touristique, et effectuer un ‘safari boat’ bien connu des vacanciers… la démarche ne nous inspire guère mais les bateaux étant individuels et le programme à la carte nous nous laissons tenter.

Embarqués à bord d’une petite barque à moteur, nous nous enfonçons dans la mangrove, le réseau de canaux est insoupçonné. De rares habitations de pêcheurs bordent les berges, la nature est luxuriante et la faune omniprésente : un King Fisher aux couleurs chatoyantes nous nargue de toute sa hauteur, un varan détourne à peine sa trajectoire pour frôler notre embarcation, les singes courent dans les arbres et toutes sortes d’oiseaux marins pêchent allègrement.

Nous accostons sur une minuscule île verdoyante. Les canneliers nous encerclent, en cette saison les arbres sont en fleurs. Je cueille une feuille, la froisse, et en apprécie son odeur subtile. On m’offre un copeau d’écorce de cannelle à croquer, blanche et fraîche, elle a déjà toute sa saveur et pourrait aisément faire office de friandise.

Un homme d’un âge avancé, le torse et les pieds nus, paré uniquement d’un sarong orange, nous invite à le suivre. Il effectue devant nos yeux des bâtonnets de cannelle : effeuillage du rameau, épluchage de la branche, incision de l’écorce, chaque étape nécessite une technique avertie et presque inchangée depuis des siècles. Les mains vieillies de cet homme agissent avec vitesse et dextérité. Les copeaux d’écorces sont insérés les uns dans les autres formant un bâtonnet d’environ 30 centimètres de longueur. Ces petits tubes sont ensuite déposés sur des fils, tirés au-dessus de nos têtes, à l’ombre du soleil. Ils resteront ainsi une dizaine de jours pour être retirés une fois refermés. La cannelle est dès lors jugée prête, lorsque l’écorce est fortifiée et la saveur intense.

Sur cette petite île étriquée, l’odeur est bien évidemment omniprésente, le nez en éveil je perçois les notes vertes des feuilles de cannelier, les effluves épicés secs des bâtons en train de sécher, ou encore les arômes gourmands et chaleureux de la cannelle entassée, prête à être vendue. Une odeur si familière, des souvenirs d’enfance, une petite madeleine qu’il est toujours étonnant de retrouver sur une île perdue au bout du monde.

L’aspect touristique de cette visite est indéniable mais nos a priori se sont néanmoins envolés après avoir passé un agréable moment. Nous reprenons notre embarcation sur le chemin du retour, cet après-midi nous attend la visite d’une usine et plantation de cannelle dans l’attenante ville de Galle.

CARNET D’ADRESSES

Safari boat sur la rivière Madu (jaliya boat service)

Balade en bateau sur les chenaux étroits de la rivière Madu. Visite de la mangrove, escale sur l’île de la cannelle et découverte d’une faune et flore préservées. Région de Galle, sud du Sri Lanka.

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