Le parfum du riz, Partie I
Depuis les débuts de ce blog, je vous présente des odeurs spécifiques à certaines régions de l’Asie, traduisant chacune à leurs manières le caractère des différentes cultures. Mais il y a aussi ce qu’on pourrait appeler les parfums d’Asie, des odeurs similaires par delà les régions où flotte une même senteur indescriptible mais immédiatement identifiable. Une odeur qui m’est devenue familière, presque rassurante et qui j’en suis sûre évoque des souvenirs à chacun d’entre vous connaissant le continent.
Contenant sans aucun doute des accords de fleurs et d’encens, la base de ce parfum est elle composée de vapeur de riz. Cet ingrédient si omniprésent dans la culture asiatique, que l’on cuisine dans toutes les maisons, à chaque coin de rue du matin jusqu’au soir. Du Japon à l’Indonésie, de l’Inde aux Philippines, ce doux parfum, léger et cotonneux comme un nuage, parcourt le continent et traverse les frontières.
Il faut dire que dans cette partie du monde, toute la vie tourne autour du riz. Au cœur de cette Asie des Moussons où pousse la quasi totalité des récoltes (environ 92%), des centaines de millions d’agriculteurs cultivent la précieuse céréale sur pas moins de 500 millions d’hectares de rizières et dont la récolte est presque entièrement consommée sur place.
Le riz intègre tant la vie courante que chaque repas fait référence à cet aliment du quotidien ; on parle du riz du matin, du riz du midi et du riz du soir. On le mange en plat principal et en dessert, on le boit sous forme de bière, de vin et d’alcool, on nourrit les animaux avec le chaume qui sert aussi d’engrais et est à la base de nombreuses créations artisanales.
Considéré comme l’âme du continent asiatique, le riz est présent dans tous les rituels religieux, les traditions, la vie sociale et le langage. Dans plusieurs langues officielles et dialectes locaux, le mot « manger » signifie « manger du riz », quand dans la sémantique orientale, les mots « riz » et « nourriture » sont équivalents. Pour les hindous, lorsqu’une femme pénètre pour la première fois dans la maison de son époux, du riz est versé au seuil de sa nouvelle demeure comme un signe bienveillant qui apporterait la prospérité. Au Japon, l’épi de riz (米Ine) orne la pièce de 5 yens symbolisant l’immortalité, l’abondance et la pureté première.
Né il y a environ quarante millions d’années, au pied de l’Himalaya et au bord des grands fleuves où il reste encore quelques espèces de riz sauvages. La culture du riz semble avoir été adoptée voici plus de 7000 ans, se développant parallèlement dans plusieurs pays : les premières cultures apparaissent en Chine 5000 ans avant notre ère, sur le site de Hemu Du, ainsi qu’en Thaïlande vers 4500 av. J.C., pour ensuite faire leurs apparitions au Cambodge, au Vietnam et en Inde du Sud. De là, les espèces dérivées se sont étendues vers les autres pays asiatiques : Corée, Japon, Birmanie, Pakistan, Sri Lanka, Philippines et Indonésie. Ces sociétés se sont d’ailleurs essentiellement organisées autour de sa production, où l’or blanc est devenu un formidable moyen de croissance et de prestige.
Le développement des diverses routes commerciales partant d’Asie vers d’autres parties du monde a proportionné l’expansion de la culture, les grains de riz étant alors utilisés comme monnaie d’échange. Vers 800 av. J.C. le riz asiatique a été acclimaté au Proche-Orient et en Europe méridionale. C’est à partir du bassin d’Euphrate et du Tigre que les arabes implantèrent le riz en Espagne et, par contre-coup dans toute l’Europe. Le riz a alors continué son chemin et a traversé l’Atlantique, pour s’introduire sur le continent américain avec Christophe Colomb dans la deuxième moitié du 16ème siècle.
Parrallèlement aux déplacements des hommes, les grands mouvements des plaques ont également bouleversé les paysages et envoyé les grains de riz se promener par eau et par terre à travers le monde, créant ainsi de nouvelles espèces adaptées aux différents climats. Le riz pousse aussi bien à 3000 mètres d’altitude qu’au dessous du niveau de la mer, se plait sous l’Equateur comme dans les plaines les plus froides, qu’il soit sous 5 mètres ou 10 centimètres d’eau.
Véritable plante merveilleuse, le grain de riz est en fait la fleur unique de chaque épillet qui est entouré à sa base par le glemme. Dans l’épillet se cache le caryopse qui est le grain à proprement dit. Les épillets sont regroupés en épis portés par des tiges ou chaumes. Dressée ou étalée à hauteur variable, allant de moins d’un mètre jusqu’à cinq mètres, c’est une plante très résistante qui vit les pieds dans l’eau mais peut, paradoxalement, résister à la sécheresse protégée par son épiderme retenant l’eau. C’est la plante idéale des pays vivant sur le régime des moussons et qui prospère aussi dans les régions tempérées plus fraîches. Le plant de riz n’a qu’une seule exigence, celle d’avoir suffisamment d’eau et de soleil au moment de la floraison et de la fructification.
Aujourd’hui on recense plus de 150.000 variétés de riz croissant à travers le monde. La principale espèce, l’oryza sativa, plus communément connue sous le nom de « riz asiatique » se distingue en deux familles : le riz indica et japonica.
L’Indica est le riz de la plupart des pays asiatiques du sud, de la Malaisie à Java en passant par le Tibet et l’Inde. Il aime les climats tropicaux et produit un grain long, clair et vitreux qui reste ferme après la cuisson car il n’absorbe pas l’eau. Lui appartiennent le riz glutineux idéal pour les desserts et certaines préparations dont on fait la farine de riz et les riz aromatiques comme le Basmati indien et le Jasmine thaïlandais.
Le riz Japonica est quant à lui cultivé plus au nord de l’Asie et à travers toute l’Europe, supportant des latitudes extrêmes, des températures basses et un ensoleillement moindre. C’est le riz le plus consommé au Japon ainsi que dans le nord de la Chine. Son grain plus court absorbe l’eau de cuisson et les sauces prenant alors un aspect crémeux, c’est d’ailleurs le riz du risotto et de la paella.
Dans la vie asiatique de tous les jours, le riz apparaît à tous les repas accompagné de légumes, de viandes et de poissons. Ses moyens de préparation ont fortement influencé la fabrication et l’utilisation des ustensiles de cuisine.
Sur un plan plus spirituel, chez les bouddhistes comme les hindouistes, le riz fait partie des offrandes que l’on fait aux dieux. Apposé sur le sommet de la tête et le front des balinais, il symbolise la bénédiction de Sang Hyang Widhi, le dieu suprême de l’hindouisme balinais. Le riz décortiqué est aussi toujours présent dans les cérémonies hindoues. L’Akshat Poûdja est par exemple une étape rituelle où l’on mélange le riz avec du curcuma et du parfum avant d’en offrir aux divinités. Les soudanais de Java (qui sont musulmans) acceptent le riz comme la personnification de la déesse du riz, Srî Dewi. En Chine, les morts ne partent pas pour leur dernier voyage sans une bouchée de riz dans la bouche car le « qi » est décrit comme la vapeur s’élevant de la cuisson du riz…
Bien que les rizières évoquent un véritable paysage olfactif, le riz lui ne dégage aucune odeur particulière lorsqu’il est cru. C’est véritablement lors de sa cuisson que le parfum du riz prend alors toute sa dimension olfactive. A mesure qu’il gonfle dans l’eau bouillante, la vapeur de riz dégage un parfum doux et léger, poudré et cotonneux à l’image de sa blancheur immaculée.
Utilisé en parfumerie depuis quelques années, le parfum de vapeur de riz intègre de plus en plus de compositions. Sa note douce et poudrée laisse sur la peau un sillage vaporeux et duveteux. Associée par exemple à la vanille ou à la fève tonka, l’accord de riz peut prendre une dimension plus gourmande dévoilant des notes chaudes, parfois presque pyrazinées (grillées).
Alors durant votre prochain voyage en Asie, promettez-moi de tendre le nez pour attraper cette odeur de vapeur de riz si représentative du continent. Et pour ceux qui ont eu la chance de la découvrir, n’hésitez pas à partager vos impressions et vos souvenirs parfumés !
La semaine prochaine je vous en dis plus sur la culture du riz et les émotions olfactives rencontrées dans les rizières indonésiennes.
Le titre de cet article s’inspire du film chinois Mi Xiang 米香 (Le Parfum du riz) réalisé par Bai Haibin et Wang Hongfe.
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