La Cannelle de Ceylan, la précieuse épice du Sri Lanka Partie II
Le sud du Sri Lanka est un enchantement pour les sens. Le vert lumineux des rizières et celui plus sombre des palmeraies contrastent avec les plages de sable blanc et le turquoise profond de l’océan. L’air embaume le jasmin et la cannelle, tandis que les vêtements aux couleurs vives des passants complètent ce paysage d’une beauté exceptionnelle.
Nous avons rendez-vous à une vingtaine de kilomètres au nord de Galle, l’une des principales villes du sud du Sri Lanka. Galle se distingue par des couleurs, une texture et des sensations qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le pays. Incontestablement exotique avec ses senteurs d’épices et ses vents salés, elle semble aussi vaguement familière grâce à une collection de bâtiments coloniaux hollandais. Une cité médiévale européenne, à la beauté fanée, transférée sous les tropiques.
Parallèle à la voie ferrée, nous remontons la route côtière, qui relie Colombo au sud de l’île. Nous croiserons à de nombreuses reprises la bruissante caravane de wagons rouges foncés, s’échappant lentement vers le sud en longeant la mer. Côté terre, l’horizon nous offre parfois un désolant paysage où des ruines de maisons se succèdent, tristes vestiges laissés par le tsunami.
Nous dévions alors de la route principale pour nous enfoncer dans les terres sur un petit chemin caillouteux. Après seulement quelques minutes, nous voici dans les plantations de canneliers. À travers la vitre, je regarde ces petits arbres, fins bâtons au feuillage d’un vert lumineux, étaler leur immensité. Soigneusement délimités et grillagés, les domaines d’exploitations se suivent et se ressemblent. Nous sommes accueillis par Mr Ruwan Abey, dirigeant de la société U10CCC, le premier exportateur sri lankais de cannelle de Ceylan. C’est avec une extrême gentillesse qu’il accepte de nous guider, le temps d’un après-midi, pour mieux connaitre la cannelle, une des richesses de son pays.
Au travers de son métier, Ruwan nous fait partager avec fierté, qu’il a pour principal objectif de préserver la production et l’exportation sri lankaise de cannelle; mais surtout de s’assurer de la qualité de la cannelle de Ceylan perpétuant ainsi sa reconnaissance internationale.
Une qualité exceptionnelle, qui a bien sûr un coût et peut atteindre jusqu’à 6 fois le prix de la cannelle cassie venant de Chine, la moins chère du marché.
Nous nous enfonçons dans la plantation, de petits chemins déhambulent au milieu de la végétation. Pour mieux apprécier les cinq hectares qui nous entourent, nous grimpons au sommet d’une plateforme de bois et prenons ainsi conscience de l’immensité environnante, tout n’est que vert à l’horizon. Quelques maisons traditionnelles se perdent dans ce camaïeu de couleurs.
Certains plants sont vieux de plus de 100 ans, mais pourtant ce sont les jeunes pousses qui donnent la meilleure cannelle. Pour optimiser la production, les plants de cannelier sont donc renouvelés tous les 6 à 8 ans, hectare par hectare, pour continuer à assurer le rendement.
Plus la cannelle est pâle meilleure elle est, les arbres sont donc régulièrement taillés en arbustes, entraînant la pousse de nouveaux rameaux, afin d’effectuer l’incision de l’écorce lors de la montée en sève.
Quand vient le temps de la récolte, c’est un spectacle de voir les habiles éplucheurs de cannelle récolter la précieuse écorce, la machette maniée avec ténacité. S’effectuant d’avril à décembre, c’est particulièrement après la saison des pluies, que le rendement se veut le plus favorable, alors que l’écorce imbibée d’eau est plus facile à peler. Une fois épluchée, séchée et enroulée tels de petits parchemins anciens, la cannelle est prête à être vendue. Gorgée de cellules à essence, ses bâtonnets offrent une belle couleur caramel.
Le cannelier est un arbre généreux. La branche dépouillée devient bois de chauffage tandis que les copeaux de son écorce sont utilisés comme engrais.
Pour mieux comprendre les étapes qui s’ensuivent nous nous dirigons vers l’usine de production située dans la ville voisine. À peine descendus de notre véhicule nous sommes envahis par un fort arôme, l’odeur de cannelle est omniprésente, presque entêtante étant donné son intensité. Nous nous engouffrons par la porte d’un entrepôt métallique, à l’abri du soleil, des milliers de bâtons de cannelle sont empilés. On les a emboîtés les uns dans les autres. Ainsi constitués, ils atteignent, c’est la règle, la taille de 42 inches, ce qui correspond à un peu plus d’un mètre. Ils sont classés par type selon leur grosseur, plus ils sont fins meilleure est leur qualité. Un homme effectue sous nos yeux le tri des bâtonnets quand d’autres plus loin les ficellent en bottes afin d’être stockés. Selon leur qualité, ces bâtons seront vendus entre 1 000 et 6 000 roupies le kilo (entre 6 et 40 euros).
Attirée par des voix et des rires de femmes, je passe un sas pour atteindre la chaîne de production. Ici ni robot, tapis roulant ou autre machine automatique, tout est effectué à la main. Une dizaine de femmes, parées du même tablier gris, travaillent au tri, à la découpe et à l’emballage des petits tubes d’écorce. L’ambiance se veut joviale, une musique chantante bat la mesure de leurs gestes réguliers, parfaitement maitrisés pour être maintes et maintes fois répétés.
Enfin nous arrivons dans l’entrepôt, la dernière étape. Les bâtons de cannelle sont ici soigneusement ficelés et emballés pour être exportés vers le monde entier. De nombreuses caisses de bois scéllées affichent des destinations diverses et variées: Barcelone, Los Angeles, Sydney, et de nombreux paquets à destination de Mexico. Et pour cause, les mexicains, fervents consommateurs de thé à la cannelle, sont les plus grands utilisateurs au monde.
Le Sri Lanka exporte aujourd’hui 90 % de la production mondiale de la cannelle de Ceylan. À travers les pays et les continents, la cannelle est aujourd’hui consommée dans le monde entier essentiellement pour une utilisation en cuisine, pour aromatiser les liqueurs et parfumer les parfums.
Dans les cuisines on retrouve la cannelle sous forme de bâtons ou moulue en poudre. Afin d’obtenir un goût équilibré, plusieurs variétés de cannelle complémentaires sont mélangées dans les préparations en poudre, ainsi réduite la cannelle a néanmoins l’inconvénient de s’altérer plus rapidement. En Europe, on préfère la cannelle de Ceylan, tandis qu’en Amérique du Nord, c’est surtout la cannelle de Chine que l’on consomme.
La cannelle est aujourd’hui utilisée dans une quantité incroyable de préparations. En France, la cannelle s’imposera très tôt dans la cuisine au point qu’à la fin du XVIe siècle elle figure dans pas moins de 67 % des recettes du pays.
Dans le nord de l’Europe et de l’Amérique, on emploie généralement la cannelle dans les plats sucrés : pour les desserts, les tartes aux pommes, et autres brioches, crèmes et puddings. Elle améliore aussi les salades de fruits, les compotes et les confitures et habille le vin chaud.
Tandis qu’en Italie, en Grèce ainsi que dans la cuisine indienne et orientale on l’emploie dans les préparations salées : les plats de viandes et de volailles. La cannelle asaisonne soupes, préparations de riz et de légumes. Elle est indispensable sur la Pastilla marocaine quand les indiens l’utilisent en quantité pour aromatiser les currys.
En plus de l’écorce destinée au marché des épices, la cannelle offre une huile essentielle largement employée en confiserie et bien sûr en parfumerie.
Il existe deux types d’huiles essentielles. L’huile essentielle de feuilles de cannelle tout d’abord; récoltées au moment de la coupe des canneliers, les feuilles seront ensuite distillées à la vapeur d’eau pour obtenir un liquide épais et parfumé. Il ne faut pas moins de 125 kilos de feuilles pour produire, en un peu plus de six heures, une petite bouteille d’extrait concentré, qui sera vendue à moins d’une dizaine d’euros.
Puis il y a l’huile essentielle d’écorce de cannelle, la plus connue et sans doute la plus appréciée. Cette dernière possède une belle couleur brune jaune pâle, une odeur fortement parfumée, et un goût aromatique singulièrement doux et chaud. Cette huile essentielle est préparée en martelant rudement l’écorce, en la laissant macérer dans l’eau de mer, avant de distiller le tout.
Délicate et veloutée, l’odeur de cannelle est un vrai souvenir proustien qui évoque à chacun un souvenir d’enfance et de douceur. Utilisée en parfumerie pour transmettre de tendres émotions, elle peut aussi se faire sensuelle et sulfureuse, faisant osciller notre raison. Dans les parfums, la cannelle apporte un accord très chaleureux et gustatif qui se fond avec les notes boisées et se diffuse lentement sur la peau. Principalement utilisée dans les fragrances épicées et orientales pour son charme dévastateur, elle offre une note séduisante presque charnelle à laquelle il est rare de ne pas succomber.
Nous quitterons notre hôte sur ces derniers instants de visite. Cette journée entièrement dédiée à la découverte de la cannelle nous aura permis d’aborder cette épice dans sa globalité et ainsi mieux comprendre son utilisation et véritablement apprécier la richesse qu’elle représente pour la population sri lankaise. Bien sûr ce fut également l’occasion de sentir, encore et toujours, apprécier cette subtile odeur d’antan ici en plein coeur de sa terre d’origine. Garder en mémoire une note délicate, désormais associée aux images de plantations ensoleillées, de mers turquoises et de sourires de femmes à la peau tannée. Un ravissement pour les sens, un émerveillement pour l’esprit.
CARNET D’ADRESSES
Découvrir la cannelle de Ceylan chez U10CCC:
Au moment de notre visite, un projet d’ouverture aux touristes, en partenariat avec un hotel de Galle, devait se mettre en place. Faire partager au plus grand nombre les secrets de la cannelle de Ceylan au travers de la découverte des plantations, la visite de l’usine et une dégustation de thé et de friandises, à base de cannelle évidemment, serait même au programme.
Plantation: « Katuwila Estate » Uragaha Road à Ahungalla
Usine: Galle road à Hikkaduwa
Où dormir à Galle:
No. 288, Dadella, Galle, Sri Lanka
Tel: + 94 11 5769500-2
Cette ancienne maison coloniale reconvertie en hôtel comporte 13 grandes
chambres. Laissez-vous séduire par cet endroit authentique, au service
irréprochable où les oiseaux chantonnent et les singes courent sur les
toits. Un charme fou pour cette demeure d’antan où il fait bon s’évader.
À partir de 160 euros la nuit.
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Je sens que je vais retourner au Sri Lanka plus rapidement que prévu, je m’y vois déjà!
Tes billets sont toujours aussi intéressants, j’attends le prochain récit avec impatience…
Merci Lyne pour ton message,
Je suis si contente que tu te retrouves dans mes récits, il n’est pas toujours évident de faire revivre des émotions seulement avec des mots et quelques photos.
Encore quelques billets à venir sur le Sri Lanka avant une toute nouvelle destination…
Et vous que vous évoque la cannelle? Venez partager vos souvenirs et impressions en laissant vos commentaires ci-dessous
La cannelle, comme tu l’as dis dans ton récit, m’évoque un souvenir Proustien, un dessert, un gâteau d’enfance, une odeur de pâtisserie!!! maintenant avec ma belle-mère Sri Lankaise ça m’évoque tous ces bons petits plats qu’elle nous prépare!!!
Merci pour ce récit de voyage Christa!!!