À la découverte du clou de girofle à Munduk, Bali
Alors que le ciel retire lentement son rideau de nuit, nous partons au nord de l’île de Bali, en direction de Munduk. Sur les flancs du volcan Batur, ce petit village d’altitude est éloigné des trajets touristiques habituels, accessible uniquement par de petites routes pentues, Munduk n’attire pas les foules. Mon guide est d’ailleurs le premier étonné de mon intérêt pour ce petit village à première vue sans grand intérêt, et pourtant il regorge d’une rare et sublime épice: le clou de girofle.
Le giroflier est originaire d’Indonésie, des îles volcaniques de l’archipel des Moluques. Connu depuis l’Antiquité, le clou de girofle devint à la mode en Europe au Moyen Age. Objet d’une intense concurrence entre Portugais, Hollandais et Anglais pour la domination du commerce des épices; il fut jusqu’au XVIIIe siècle, avec la muscade et le safran, l’épice la plus prisée et la plus chère.
L’Indonésie est aujourd’hui le premier producteur mondial et Munduk se trouve être la ville balinaise du clou de girofle. Les habitants vivent ici principalement de sa récolte.
En arrivant à Munduk je suis surprise par le calme qui règne dans ce village. L’endroit clairement diffère des autres régions de l’île; de petites boutiques désertes, des bâtiments usés recouverts de poussière, quelques enfants jouant dans les rues et les cours des maisons. Je croise quelques vieux hommes écoulant leurs journées sur le pas de leurs portes en profitant du soleil et observant de loin les travaux de récoltes qu’ils connaissent bien. La vie ici plus qu’ailleurs se veut tranquille. Aux alentours, le paysage est constitué de montagnes et de forêts de girofliers à perte de vue. La vallée décline une riche palette de verts, de jaunes et de rouges qu’un ciel azuré ravive.
Le giroflier est un arbre majestueux, avec une belle allure et un feuillage persistant de couleur vert rougeâtre. Il peut vivre plus de 100 ans, mais il commence à porter des fruits seulement vers sa septième ou huitième année d’existence, avec une production maximale qui se situe entre dix et vingt ans.
Alors que je me promène dans les rues de Munduk, mes yeux sont rivés sur ces arbres bordant les routes; je suis à la recherche de fleurs de giroflier. Le clou de girofle doit normalement être récoltés avant la floraison alors que le bouton près à s’ouvrir commence à rosir, il est donc très rare de voir des fleurs de giroflier, j’en découvre néanmoins quelques unes çà et là, la récolte de septembre ayant visiblement déjà été effectuée. Je suis fascinée par cette petite fleur assez extraordinaire, ne dépassant à peine quelques centimètres de diamètre, elle est parfois comparée à une anémone de mer pour sa chevelure ébouriffée d’un blanc lumineux.
Une fois récoltés les clous sont déposés dans de grands plateaux de paille le long des routes pour être séchés au soleil durant plusieurs jours. L’harmonie des couleurs vert et rouge des jeunes clous contraste peu à peu avec la monotonie brunâtre qu’ils affichent une fois séchés. A la moindre goutte de pluie tous les habitants se hâtent pour mettre les précieux contenants à l’abris, ils reprendront leurs places aux premiers rayons de soleil.
La ville dégage cette odeur ambrée épicée si familière, car c’est dans ce petit clou recroquevillé que se développe une saveur d’une puissance impressionnante. L’essence de clou de girofle est obtenue par distillation à la vapeur d’eau. L’huile essentielle obtenue des boutons du giroflier contient 80% d’eugénol, la molécule odorante. En parfumerie, on utilise l’eugénol pour sa chaleur pénétrante rappelant l’oeillet. On le retrouve dans les notes ambrées et épicées masculines.
Les pédoncules floraux, les feuilles et les tiges du giroflier sont également récoltés et séchés, puis en général distillés pour produire de l’huile essentielle; d’une quantité d’eugénol moindre ces huiles sont plus couramment utilisées pour les huiles de massage ou autres produits dérivés. En continuant ma route, je croise une femme approchant la soixantaine, son regard malicieux semble avoir gardé intact la fraicheur de ses jeunes années. Elle porte sur sa tête un grand sac de feuilles de giroflier, sa petite fille accrochée à la poche. Elle mène justement son butin tout juste récolté à une distillerie se trouvant quelques mètres plus bas.
En Indonésie et particulièrement à Bali, la majorité de la production de clous de girofle est utilisée pour la fabrication d’une grande marque de cigarettes, localement connue sous le nom de « kretek ». Mélangeant tabac et clou de girofle, l’odeur ambrée de ces cigarettes est immédiatement reconnaissable. Il est courant de croiser des groupes d’hommes, cigarette à la bouche, enveloppés d’un nuage de fumée épicée.
Le soleil se cache peu à peu derrière les montagnes, les rizières s’obscurcissent, il est temps de rentrer. Nous reprenons la route, décollant de mon siège à chaque nid de poule, bercée par les sinuosités du bitume, je savoure néanmoins un étourdissant panorama. C’est sur ces derniers instants de découverte balinaise que je referme les pages de mon carnet de voyage olfactif. La semaine prochaine je vous emmène à la découverte d’une autre île indonésienne, non loin de là, Java.
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