Rencontre avec la reine des épices indonésiennes: la noix de muscade

Noix de muscade

Les saveurs de notre quotidien racontent bien souvent des histoires qui fascinent encore aujourd’hui de nombreux aventuriers. Parée de toutes les vertus et objet de tous les fantasmes, la noix de muscade nous plonge directement au cœur d’un passé colonial oublié. Pour elle, les marins ont bravé tous les dangers, repoussé toutes les limites pour atteindre les très convoitées terres indonésiennes. Lors de notre séjour sur l’île de Java, c’est tout naturellement que nous décidons de partir à la rencontre de cette précieuse épice, dont l’arôme inimitable, a permis aux hommes de découvrir le monde.

La noix de muscade, dites ‘pala’ en indonésien, est originaire des îles Banda dans l’archipel des Moluques. A la fin du Moyen Age, la noix de muscade, vendue alors par les commerçants arabes, était devenue l’épice la plus chère en Europe, au point d’atteindre la valeur de l’or et de l’argent. Les puissances coloniales d’alors ont cherché à remonter à la source pour profiter de ce marché juteux. Ce sont les portugais qui prirent possession les premiers des petites îles indonésiennes, chassés par la suite par les Hollandais.

Avec le temps, la production de muscade s’est étendue et on trouve aujourd’hui des muscadiers sur l’ensemble de l’archipel indonésien. A Java, c‘est plus précisément dans la région de Bogor, que nous rencontrons un producteur local qui accepte gentiment de nous ouvrir les portes de sa plantation.

Wage et Sasmi Heny, sont mari et femme, tous deux originaires de Java. Ils se sont rencontrés dans une usine de distillation d’épices, pour laquelle ils travaillèrent de nombreuses années, jusqu’en 2000 date à laquelle ils décident de créer leur entreprise et ainsi devenir l’un des principal producteur de noix de muscade javanais. Nous arrivons à la plantation alors que le soleil est au plus haut et la température étouffante.

Après un accueil chaleureux, nous nous enfonçons au cœur de la plantation de muscadiers. Le muscadier est un très bel arbre à feuillage persistant et aux fruits jaunes pâles dont la forme n’est pas sans rappeler nos abricots. Lorsqu’il est mûr, le fruit s’ouvre libérant un noyau très dur de couleur brune, la noix. Telle une star la noix de muscade se protège: une coque épaisse tout d’abord, aussi dure qu’un bouclier, puis un filament rouge incandescent entoure la toute précieuse. Cette enveloppe de dentelle carminée, qu’on appelle communément l’arille ou le macis, est séchée et utilisée à la fois pour sa coloration orangée et pour son arôme délicat. Quant à la noix, elle fait l’objet de toutes les convoitises.

La plantation n’a à vrai dire rien de très impressionnant. Les muscadiers nous entourent de toute part sans organisation particulière, le tronc chatouillé par de hautes herbes folles, ils semblent avoir été plantés au gré du hasard et des caprices du vent. Aucune odeur n’est pour le moment perceptible, néanmoins les arbres regorgent de fruits et certaines branches flanchent sous nos yeux, pliées par le poids de ces nouveaux nés.

La récolte s’opère trois fois dans l’année, soit tous les 3 à 4 mois, temps nécessaire à la maturation du fruit. Les noix sont collectées directement dans les arbres à l’aide d’une longue gaule en bambou munie à son extrémité d’une petite nasse. Les noix arrivées à maturité, tombées à terre, cassées ou parfois même mangées par les vers sont jugées invendables pour la cuisine; elles sont néanmoins récoltées et ce sont ces dernières qui une fois distillées à la vapeur d’eau feront le bonheur des compositeurs de parfums.

Pour découvrir le principe de distillation nous quittons la plantation pour partir justement en direction de l’usine, qui n’est autre que la maison familiale du couple Heny, située à seulement quelques kilomètres de là. Wage et Sasmi nous ouvrent les portes de leur maison tel des membres de leur famille. Ces deux-là ont le rire si facile que leurs pommettes ne se relâchent jamais, leur sourire permanent ne peut qu’élargir le notre.

La distillerie se trouve dans la cour intérieure de leur maison. Un large carré de terre battue dont la vision est impressionnante, des centaines de plateaux de paille sont alignés et dorent au soleil, leur contenu: quelques milliers de noix étalées là sous nos yeux. Cette image n’est pas sans rappeler les clous de girofle rencontrés à Bali, le nombre d’épices est juste ici démesuré. A ma droite, se trouvent les noix de muscade, à ma gauche les macis sèchent sur une bâche et ici ce sont les coques qui ont été récupérées… Par conséquent il est impossible d’ignorer l’odeur qui plombe cette petite cour sommaire, tour à tour épicée, aromatique et ambrée.

Une petite distillerie traditionnelle se trouve dans un bâtiment désuet et poussiéreux, l’odeur qui s’en échappe vient caresser nos narines éveillées. L’essence de noix de muscade est produite principalement en Indonésie. Pas moins d’une tonne de noix est nécessaire pour 120kg d’huile essentielle.

Plus loin, deux jeunes garçons accroupis selon la mode asiatique, les jambes repliées et écartées en équilibre sur leurs pieds, font voler et virevolter une poudre brune aux effluves épicés; l’aisance avec laquelle ils effectuent ces mouvements traduit une expérience de longue date malgré leur jeune âge. Après 4 à 7 jours de séchage, les noix de muscade utilisées en cuisine sont concassées et filtrées à l’aide d’une large passoire en bambou afin de récupérer une poudre fine, utilisée pour aromatiser bon nombre de nos aliments.

Le fruit du muscadier a perdu une part de sa noblesse depuis que les géants de l’industrie alimentaire l’acheminent vers les étagères des supermarchés. Désormais empaquetée comme une reine de carnaval, avec sa bouteille, son bouchon et son étiquette multicolore, la muscade a cessé d’apparaître, à nos yeux, comme l’épice ‘noble par excellence’.

Et pourtant qu’elle est belle cette épice; quand elle est fraîche, lourde et dense, elle a un parfum de femme fatale, sans la vulgarité de certaines senteurs capiteuses. Avec sa pointe d’amertume boisée, son piquant initial et sa longueur en bouche presque iodée, elle provoque une joyeuse conversation entre la langue et le palais.

Son arôme inimitable donne du relief à tout ce qu’il effleure. En parfumerie, la noix de muscade affiche les contradictions. Son odeur montante, chaude et poivrée, prend des couleurs aromatiques très fraiches auxquelles succèdent des aspects plus sombres, boisés secs légèrement poussiéreux. L’essence de muscade est surtout utilisée comme modificateur de notes épicées, on la trouve dans les eaux de Cologne et eaux de toilette pour hommes ainsi que dans de nombreux parfums boisés, épicés ou orientaux.

Nous ne pourrons quitter nos hôtes sans accepter le traditionnel thé de bienvenue largement agrémenté de fruits et d’une grande variété de gâteaux. Ces deux acolytes ont un sens de l’humour complice qui semble si naturel, que chacune de leur phrase est ponctuée d’un mot sujet à l’ironie qui arrache éclats de rire et gaieté.

Entourées d’effluves épicés, secouées de rires qui ne savent se taire, je me demande finalement ce qui peut manquer au bonheur de partager leur simplicité sincère et généreuse.

CARNET D’ADRESSES

Où dormir à Bogor:

GG House Happy Valley

Kampung Cibogo II, No 423 Gadog – Cipayung Bogor 16750

Tel: +62 251 8253882 / +62 251 8255176

Un charmant petit hôtel typique accroché à une falaise. Une vue superbe sur les rizières environnantes avec pour seule nuisance le son du torrent en contrebas. A partir de 38 euros la nuit.

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Comments
4 Responses to “Rencontre avec la reine des épices indonésiennes: la noix de muscade”
  1. Blog Voyage dit :

    Très intéressant cet article, j’utilise souvent ces noix de muscades pour assaisonner mes gratins.

  2. NezHerbes dit :

    Si peu de commentaires pour ce bel article sur une reine des épices, c’est étonnant.

    Pour ma part j’arrive ici avec un peu de retard mais j’ai adoré le voyage et les mots de votre description de l’odeur me touchent car ils correspondent à des choses que j’ai pu ressentir à l’identique et me rappellent cette odeur que j’aime, merci !

    • Christa dit :

      Cher NezHerbes,
      Merci de votre commentaire et de vos compliments, ils me touchent beaucoup!
      Je suis si contente que ces quelques mots aient pu vous faire revivre des sensations passées.
      Vous suscitez néanmoins ma curiosité… Si ce n’est pas trop personnel, j’aimerai beaucoup en savoir plus sur votre rencontre avec la noix de muscade?

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